Un chimiste belge tente de réfuter de l’effet de serre

Dans ce billet, je vais déconstruire un article publié sur le site climato-sceptique belge Science-Climat-Energie. Son auteur, un professeur de chimie à la retraite, prétend y démontrer que l’effet de serre radiatif n’existe pas. Rien que ça !

Avant d’en traiter le contenu, il convient de préciser certaines choses :

1/ L’article de SCE n’est pas une publication scientifique. Il n’a pas été publié dans une revue à comité de lecture, il n’est pas passé par un processus de relecture ou de revue par les pairs. C’est ce qu’on appelle de la « littérature grise ».

2/ Bien qu’il mette en avant son titre académique de professeur émérite de l’ULB, son auteur s’y exprime en son nom propre. Il ne représente pas un labo, un institut ou un groupe de recherche, et encore moins l’université qui l’a employé.

3/ L’auteur n’a aucune expérience reconnue dans le domaine de climatologie, il n’a jamais rien publié dans ce domaine. Au vu de ses publications, sa spécialité semble plutôt être la chimie des polymères, un des core-business de la pétro-chimie.

4/ Cet article ne s’adresse pas à des scientifiques accomplis. En effet, une personne rompue aux sciences, et donc aux bases de la physique, n’a pas besoin qu’on lui rappelle, par exemple, la loi de Planck, ou la formule de l’énergie d’un photon.

On va faire l’impasse sur le premier paragraphe d’introduction, où l’auteur nous explique en somme que les climatologues sont des imbéciles qui ne comprennent rien aux notions élémentaires de la physique et de la chimie.

Un extrait des commentaires de l’article, où l’auteur déclare que
Trenberth et beaucoup d’autres climatologues seraient des crétins en physique.

Examinons maintenant le contenu des différentes sections de l’article en le confrontant aux connaissances actuelles dans les sciences du climat.

Section 1 : Deux types de rayonnement à ne pas confondre

La première section prétend poser ces bases physiques si mal comprises par ces piètres physiciens que seraient les climatologues… L’auteur nous explique qu’il existe deux types de rayonnement « à ne pas confondre » :

  • le rayonnement thermique caractérisé comme suit : le spectre d’émission est continu, son intensité dépend fortement de la température mais est indépendant de la nature de l’émetteur;
  • le rayonnement de fluorescence caractérisé comme suit : le spectre d’émission est discontinu, constitué de raies ou de bandes. Son intensité ne dépend PAS de la température et la relation de Stefan-Boltzmann (1) n’est PAS d’application. Le spectre de fluorescence dépend fortement de la nature de l’atome ou de la molécule et peut même servir à l’identifier.

Cet exposé est tout à la fois faux en plusieurs points, et trompeur dans le meilleur des cas ! Tout d’abord, il convient de rappeler qu’un rayonnement thermique est constitué de photons, et que ces photons sont nécessairement issus de transitions d’états quantiques dans la matière. Par conséquent, ils ne peuvent avoir n’importe quelles fréquences. Alors que la loi de Planck, qui est utilisée pour étudier le rayonnement thermique, est dérivée à partir d’une situation idéalisée, celle d’un corps noir, c’est-à-dire un système à l’équilibre thermodynamique qui aurait la propriété d’absorber et d’émettre parfaitement le rayonnement à toutes les fréquences. Or, un tel système n’existe pas dans la Nature. Dans la réalité, rien n’est jamais parfaitement à l’équilibre thermodynamique, et aucune substance au monde n’absorbe parfaitement l’énergie à toutes les fréquences. Dans les nombreux domaines de la physique et de l’ingénierie où l’on utilise cette loi, elle est appliquée à des systèmes qui ne sont que des approximations plus ou moins bonnes d’un corps noirs. A telle enseigne que l’exemple « canonique » du corps noir, le soleil, n’a lui même pas un spectre continu et parfaitement conforme à la loi de Planck.

En jaune, le rayonnement solaire mesuré depuis l’espace. Ce spectre est comparé avec la courbe de Planck à 5778 K. On constate de très nets écarts par rapport à cette courbe d’ajustement aux températures inférieures à 750 K.
By Nick84 – File:Solar_spectrum_ita.svg, CC BY-SA 3.0,
https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=24648395

L’explication avancée par l’auteur pour expliquer l’origine de ce rayonnement thermique ne dit d’ailleurs pas autre chose en filigrane :

Il est dû à l’oscillation de dipôles électriques formés par le noyau et le nuage électronique des atomes qui, en accord avec les lois de  l’électromagnétisme, émettent un rayonnement de fréquence égale à la fréquence d’oscillation.

Or, ces fréquences d’oscillation sont celles qui correspondent aux niveaux excités des molécules, et donc le spectre de ces fréquences est discret.

Le second volet de l’exposé, sur le rayonnement « de fluorescence » est tout aussi erroné/trompeur ! Il y a d’abord un problème de terminologie car le terme « fluorescence » est normalement réservé à une catégorie particulière de rayonnements de désexcitation. Ensuite, il y est dit que l’intensité de ce rayonnement ne dépend pas de la température, ce qui est FAUX ! La répartition des états excités d’une collection de particule est contrainte, à l’équilibre thermodynamique, par la distribution de Boltzmann, et cette distribution est paramétrée par la température. Si on note N_i le nombre de particules dans l’état d’énergie E_i, on a que :

\frac{N_i}{N} = \frac{g_i\ e^{-E_i/kT}}{Z(T)}

N est le nombre total de particules, g_i la dégénérescence de l’état (nombre d’électrons pouvant occuper cet état), T la température, k la constante de Boltzmann, et Z(T) la fonction de partition définie comme suit :

Z(T) = \sum_i g_i\ e^{-E_i/kT}

Cette formule de Boltzmann nous dit que c’est bien la température qui dicte la proportion N_i / N de molécules dans l’état excité E_i.

Dans son article de 1917 The Quantum Theory of Radiation, Albert Einstein démontre qu’un gaz à l’équilibre thermodynamique produit un rayonnement par les processus d’absorptions et d’émissions, et que ce rayonnement suit la loi de Planck pour les fréquences auxquelles il existe des transitions quantiques. Il n’y a donc pas lieu dans ce cas, de distinguer rayonnement thermique et de « fluorescence », et ce en totale contradiction avec ce qu’affirme le professeur Geuskens. (J’ai développé ce point en détail dans un autre article que vous pouvez lire ici.)

Section 2 : Absorption et émission de rayonnement par les gaz atmosphériques

Cette section décrit les propriétés quantiques des molécules de l’air, et en particulier les modes de vibration et/ou de rotation du CO2 et de la vapeur d’eau. Elle décrit aussi la cinétique dans l’atmosphère de ces molécules, en expliquant qu’une partie de leur énergie de translation peut être convertie en énergie de vibration et vis-versa par le biais de collisions inélastiques. Il y est aussi dit que ces collisions inélastiques permettent à l’air de se maintenir à l’équilibre, ce qui est exact. (Les ouvrages et articles traitant du transfert radiatif de l’atmosphère parle d’équilibre thermodynamique local, et le rôle des collisions inélastiques dans le maintien de cet équilibre est abondamment discuté dans cet article, ainsi qu’à partir de la page 30 de cet ouvrage.)

Bien qu’elle ne comporte pas d’inexactitudes flagrantes, cette section foisonne d’informations trop détaillées et obscures pour un néophyte, et qui ne seront de toute façon pas exploitées dans la suite de l’exposé. On peut s’interroger sur l’objectif d’un tel étalage de données. Mon avis est que l’auteur cherche à créer un mille-feuille argumentatif, en noyant des contre-vérités au sein d’une masse d’informations certes correctes mais peu utiles pour la compréhension du lecteur, et qui vont cependant contribuer à donner un vernis de vraisemblance à l’ensemble de l’exposé. Les raconteurs d’histoires savent que pour rendre un récit crédible, il suffit d’y ajouter une foule de détails réalistes. Un autre objectif de cet étalage est peut-être d’impressionner le lecteur, de l’intimider et de le décourager ainsi de toute tentative d’analyse critique en rendant l’exposé inutilement complexe.

Section 3 : Effet de serre radiatif

Cette section commence très fort, avec l’énoncé d’une contre-vérité patente :

La théorie du réchauffement climatique d’origine anthropique est basée sur une seule et fragile hypothèse : l’existence d’un effet de serre qui n’a jamais été mis en évidence expérimentalement.

C’est un mensonge. Il existe aujourd’hui une kyrielle de preuves expérimentales de l’effet de serre radiatif, et le professeur Geuskens ne peut l’ignorer. L’effet de serre radiatif est un phénomène observable, mesurable, quantifiable, analysable, et même modèlisable. Á commencer par sa manifestation la plus directe pour nous : le back-radiation. Il s’agit du rayonnement infra-rouge de l’atmosphère vers la Terre, souvent appelé Downward Longwave Radiation (ou DLR) ou Downwelling Infrared Radiance dans la littérature scientifique. Ce rayonnement est du au fait que les basses couches de l’atmosphère, par l’entremise des gaz à effet de serre (vapeur d’eau, CO2, méthane,…) absorbent une grande partie du rayonnement infra-rouge émis par la Terre, pour ensuite le réémettre dans toutes les directions, et donc pour partie vers le sol. Il peut être mesuré à l’aide de simples pyrgéomètres ou des instruments beaucoup plus sophistiqués, comme les radiomètres IRIS ou les pyrgéomètres ACP ou encore les AERI. Voici un spectre du rayonnement atmosphérique mesuré au sol :

AERI spectra in thick cloud, thin cloud and clear sky conditions
(tiré du site https://www.ssec.wisc.edu/aeri/)
Ce spectre fait clairement apparaître le rayonnement du CO2 dans la plage à peu près comprise entre 600 et 800 cm-1.

En dépit de l’allégation du professeur Geuskens, il existe un réseau mondial de spectromètres AERI disséminés aux quatre coins du globe (~25 sites) qui mesurent en temps réel le rayonnement atmosphérique : l’ARM pour Atmospheric Radiation Measurement . Ce projet a été lancé à la fin des années nonante et est financé par le Département américain de l’Energie (DoE). Il existe aujourd’hui près de 25 années de données accumulées sur le rayonnement atmosphérique, auxquelles on peut accéder ici.

On peut s’étonner qu’un professeur d’université avec une longue carrière dans la recherche puisse nier avec autant d’aplomb un fait pourtant établi par des décennies d’observations, mais ce serait faire preuve de naïveté en ignorant la cible et l’intention réelle de son exposé. Il sait qu’il ne s’adresse pas à des scientifiques, il sait que ses lecteurs, déjà largement acquis à sa cause, ont un faible bagage scientifique et qu’ils n’iront rien vérifier puisqu’ils sont disposés à gober n’importe quoi venant de la plume d’un scientifique de renom qui leur dit exactement ce qu’ils ont envie d’entendre. Cette affirmation, soulignée dans le texte, sera leur principal « take-away », et tel un mantra, il la répéteront inlassablement sur les réseaux sociaux, assurés d’avoir la caution d’un éminent scientifique.

Cette section est aussi l’occasion de marteler – à tort, je l’ai démontré dans un autre article de ce blog – qu’on ne peut pas appliquer la loi de Stefan-Boltzmann en climatologie :

 […]Ce type de calcul n’aurait de  sens  que  pour une Terre sans atmosphère car la formule de Stefan-Boltzmann ne peut s’appliquer qu’en l’absence d’autres mécanismes de dissipation de l’énergie que le rayonnement thermique[…]

Il admettra cependant qu’on peut l’appliquer à la surface terrestre dans la section 4 où il commente le spectre du rayonnement infra-rouge émis par le système Terre-atmosphère vers l’espace et mesuré par le satellite NIMBUS 4. Il y reconnait que le rayonnement mesuré dans la fenêtre optique de 8 à 13 µm provient directement du sol et que dans ce cas, on peut se référer aux courbes d’ajustement dérivées de la loi de Planck :

La totalité de ce spectre ne peut PAS provenir directement de la surface terrestre car seule la fenêtre optique de 8 à 13 µm permettrait au rayonnement thermique d’être évacué vers l’espace sans être absorbé dans les basses couches atmosphériques (principalement par la vapeur d’eau). Cela apparaît clairement sur la fig.10 qui superpose au spectre de transmission (inverse de l’absorption) des basses couches atmosphériques la courbe d’émission (en rouge) d’un corps noir à 288 K (15° C) comme le serait la Terre.

Il admettra aussi dans les commentaires que l’on peut considérer la Terre comme un « corps gris » :

Ce qui ne l’empêchera pas de se contredire dans ces mêmes commentaires, par exemple ici :

La suite de la section s’attarde sur un faux problème, celui de la définition correcte de l’effet de serre radiatif. Il s’agit d’un homme de paille. Qu’il existe des définitions erronées de l’effet de serre ne constitue pas une preuve que cet effet n’existe pas.

Le dernier paragraphe de la section nous explique qu’il est impossible pour le CO2 de se désexciter par rayonnement dans les basses couches de l’atmosphère :

Sans reprendre en détails les arguments déjà présentés pour réfuter l’hypothèse de l’effet de serre radiatif […] nous rappellerons simplement que dans les basses couches atmosphériques le CO2 ayant absorbé une fraction du rayonnement thermique de la Terre se désactive par collisions (plusieurs milliards par seconde) avec les molécules environnantes et PAS par émission d’un rayonnement de fluorescence.

Cet argument est une tentative de réfuter le phénomène de back-radiation inhérent à l’effet de serre radiatif et il est faux à plus d’un titre. Le CO2 participe au rayonnement infra-rouge de l’atmosphère vers la Terre, on le voit très clairement sur les spectres obtenus par AERI ci-dessus (la partie comprise entre 600 et 800 cm-1 correspond au CO2). Je vais maintenant expliquer les différents points qui font que cet argument est physiquement faux.

Objection 1:

Le raisonnement de Geuskens ignore le phénomène d’émission induite, découvert par Einstein en 1917. Une molécule excitée peut se désexciter sous l’action d’un photon incident ayant la même énergie que celle correspondant à la transition.

Par Arnaud 54 — Travail personnel, CC BY-SA 4.0,
https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=69590324

L’émission induite est loin d’être négligeable. Il facile de démontrer que la probabilité d’une émission induite est la même que celle d’une absorption, si on ignore les nombres de dégénérescence des états. Elle est des dizaines de fois plus faible que la probabilité d’émission spontanée, mais le taux d’émissions induites est proportionnel à la densité de molécules excitées et à la densité de photons disponibles à la longueur d’onde correspondant à la transition. On peut calculer que dans les conditions standards de pression et de température (1 atm., 288 K), le nombre d’émissions induites par seconde et par mètre cube d’air est de l’ordre de 1019 , soit encore de l’ordre du dixième de Watt, pour la seule transition à 15 µm du CO2 (voir la section 2.3 de [3] pour les détails de ce calcul), et ce en ne tenant pas compte du rayonnement terrestre qui va encore amplifier les phénomènes induits.

Objection 2 :

Le professeur Geuskens admet ici que les collisions inélastiques assure l’équilibre thermodynamique (ce qui est soi-dit en passant correct jusqu’à environ 50 km d’altitude comme démontré par Milne dans [1]). Or un système à l’équilibre obéit forcément à la loi de Kirchhoff : la quantité d’énergie absorbée est égale à la quantité d’énergie émise. Si le CO2 des basses couches de l’atmosphère absorbe du rayonnement infra-rouge, il doit nécessairement en émettre autant.

Objection 3 :

Le professeur Geuskens prétend que les collisions inélastiques empêchent l’émission spontanée. Il est vrai qu’à température ambiante, chaque molécule de CO2 va subir en moyenne une dizaine de milliers de ces collisions, qui vont activer ou désactiver les molécules sans émission de photons. Mais cela n’empêchera pas les molécules activées de se désexciter spontanément. Les molécules ne sont pas munies d’une horloge interne ou d’une mémoire qui dicterait le moment où elles doivent se désexciter ! (Cela reviendrait à admettre l’existence de variables cachées en mécanique quantique !) Quand on lit que la durée de vie d’un état excité est de 0,64 seconde, cela veut que toutes les secondes, environ 64% des molécules activées prises au hasard vont se désactiver spontanément, peu importe ce qu’elles ont « vécu » individuellement durant les dixièmes de milliseconde qui ont précédé.

La fin de la section 3 nous réserve une dernière contre-vérité :

La désactivation radiative du CO2  ne peut être observée qu’à des altitudes de l’ordre de 80 – 100 km lorsque la pression atmosphérique est suffisamment faible pour que le nombre de collisions soit réduit à environ 1000/s. Le rayonnement émis dans toutes les directions à cette distance de la surface terrestre ne peut évidemment avoir d’influence sur la température de la Terre ou des basses couches atmosphériques.

Cette figure visible à la page 223 de [7] suffit à elle seule à faire voler en éclat cette affirmation erronée :

Cette image est introduite de la manière suivante par Petty dans texte à la page 224 : « […]an aircraft flying at 20 km altitude measured the upwelling emission spectrum[…] »

Comme indiqué dans la légende, ce spectre a été obtenu grâce à des mesures effectuées par un avion volant à 20 km d’altitude. Il montre de manière indiscutable que le rayonnement par désexcitation des molécules de GES (acronyme de « gaz à effet de serre ») se produit à une altitude inférieure à 20 kilomètres. En fait, les courbes d’ajustement basées sur la loi de Planck permettent d’estimer l’altitude rayonnement du CO2 (partie du spectre entre 600 et 700 cm-1) : la base du « creux » étant entre 220 K et 230 K, on peut estimer qu’on est à une altitude entre 10 km et 8 km si on se réfère à l’atmosphère normalisée, ce qui nous situe au sommet de la troposphère. La « théorie » du professeur Geuskens sur l’influence du taux de collisions inélastiques sur la désactivation des GES conduit donc à des prévisions largement en contradiction avec les observations.

Même en ignorant les courbes d’ajustement de Planck pour déterminer l’altitude du rayonnement de désexcitation du CO2, l’allure du spectre ci-dessus exclut que ce rayonnement se produise à l’altitude fantaisiste comprise entre 80 et 100 km, et ce pour au moins deux raisons très techniques que je ne vais pas développer :

  • le spectre indique un rayonnement de l’ordre du Watt pour le CO2; or, à une altitude supérieure à 80 km, la pression atmosphérique est bien trop faible (< 0,01 mbar), et donc les molécules de CO2 bien trop rares, pour qu’on puisse obtenir un rayonnement de l’ordre du Watt; la raréfaction du CO2 va de plus s’accélérer au-delà de 80 km en raison de deux phénomènes : la diffusion séparative due à la gravité et la photodissociation due aux rayonnements UV (voir [9]);
  • l’étude détaillée des bandes d’absorption autour de 15 µm renseigne sur l’altitude d’émission grâce à l’effet du pressure broadening, c’est expliqué ici; c’est ainsi que par exemple, dans le domaine de l’imagerie par satellite, on peut obtenir des images des nuages dans la haute troposphère grâce à la bande centrée à 13,9 µm et 13,6 µm, et des détails du sol grâce à la bande centrée à 13,3 µm.

La sous-section 4.3 où est discutée l’origine du rayonnement détecté par satellite comporte aussi une erreur fondamentale dans l’attribution du rayonnement dans la fenêtre atmosphérique :

L’aire sous chaque partie du spectre de la fig.9 est proportionnelle au flux énergétique mesuré dans le domaine de longueur d’onde considéré. La portion la plus importante du spectre s’étend de 8 à 13 µm (correspondant à la fenêtre optique) mais elle n’a PAS l’allure attendue pour le rayonnement thermique de la Terre qui devrait présenter un maximum à 10 µm comme la courbe rouge de la fig. 10.

De manière totalement contre-intuitive, le maximum d’une distribution spectrale de Planck change selon la variable spectrale de la distribution. Par exemple, si \lambda_{max} est la longueur d’onde du maximum trouvé pour la loi de Planck exprimée dans le domaine des longueurs d’onde, et \tilde{\nu}_{max} est le maximum de la loi de Planck exprimée dans le domaine des nombres d’ondes, alors de manière générale \lambda_{max}\ne 1/\tilde{\nu}_{max} (explications détaillées dans le chapitre 3 de [10]). Le spectre de la fig. 9 montre la radiance spectrale par nombre d’ondes, alors que le maximum estimé par l’auteur à 10 µm a été calculé en appliquant la loi de Wien à la température de 288 K dans le domaine des longueurs d’onde. Quand la radiance spectrale est exprimée en fonction du nombre d’ondes, la formule pour le maximum de Wien est :

\tilde{\nu}_{max} \approx 2,821\ kT/(100\ hc)\ [cm^{-1}]

Pour une température de 288 K, cette formule donne :

\tilde{\nu}_{max} = 0,564\ 10^{3}\ [cm^{-1}] \rightarrow \lambda_{max} = 1 / \tilde{\nu}_{max} = 17,74\ µm

C’est une erreur que l’on peut pardonner à un débutant, mais pas à quelqu’un qui a acquis une solide expertise en spectroscopie :

Je l’ai déjà dit : le rayonnement de l’atmosphère vers la Terre est un fait. Et la démarche scientifique s’appuie sur les faits. Si votre théorie, aussi brillante et élégante soit-elle, ne colle pas avec les faits, elle doit être corrigée, voire éventuellement rejetée si des corrections ne sont pas possibles. En ce qui nous concerne ici, à savoir le rayonnement de l’atmosphère vers la Terre, quels sont précisément les faits ? La littérature sur le sujet est très abondante, mais malheureusement, beaucoup de publications se trouvent derrière des « paywall ». Il existe cependant un très bon papier [6] librement accessible de Ellingson & Wiscombe, qui présente le projet SPECTRE ainsi que quelques exemples de résultats. Ce projet, financé par le DoE (Département de l’Energie américain) et la NASA, était un programme expérimental formé autour d’une équipe d’experts de la spectroscopie de l’atmosphère, de la télédétection (remote sensing), et du transfert radiatif, et dont le but était de mesurer très précisément, à partir du sol, le rayonnement de l’atmosphère de manière à établir un standard pour la comparaison avec les modèles. Ils ont, pour ce faire, utilisé différents spectromètres à haute résolution (interféromètres à transformée de Fourier dans l’infra-rouge ou FTIR) installés sur plusieurs sites. Voici un exemple de spectre du rayonnement atmosphérique qu’ils ont obtenu sur le site du Wisconsin :

De tels spectres sont aussi visibles dans les ouvrages classiques traitant du rayonnement atmosphérique, comme par exemple le livre de Grant Petty [7], aux pages 219 et 223 de la deuxième édition. On peut difficilement croire qu’un professeur d’université avec une carrière complète dans la recherche ait pu passer à côté de ce genre de graphiques…

Section 4 : Le bilan énergétique de la Terre

Puisque dans les trois sections précédentes, notre professeur de chimie s’est évertué à démontrer à ses lecteurs que les gaz à effet de serre ne pouvaient rayonner en se désactivant en raison des collisions, et ce ni au niveau des basses couches de l’atmosphère (pas de back-radiation), ni au sommet de la troposphère où le nombre de collisions est encore trop important, il lui reste à trouver un moyen d’expliquer comment la Terre peut rester à l’équilibre radiatif. Il va pour se faire recourir à un mécanisme dont je n’avais jamais entendu parler : l’effet Pe-Ta (pour Perel’man-Tatartchenko). Cet effet est sensé se produire lors de transitions de phase par l’émission brusque d’un rayonnement. Il n’est mentionné que dans quelques papiers tous publiés par les mêmes auteurs (Smirnov, Perel’man, Tatartchenko, et quelques chinois). Il n’est mentionné dans aucun des ouvrages classiques traitant du rayonnement de l’atmosphère. En fait, de l’aveu même de Tatartchenko, le rôle joué par ce phénomène dans l’équilibre radiatif de la Terre reste encore à démontrer :

There are numerical theoretical and experimental evidences of the PeTa effect, but additional investigations concerning atmospheric phenomena are needed.

extrait de http://tatartchenko.info/peta/peta2_us.htm

Donc, en tentant de démontrer que l’effet de serre radiatif n’existe pas, Georges Geuskens invite son lecteur à faire fi de près de 200 ans de recherche et de publications sur le rayonnement atmosphérique pour, au final, baser toute l’explication de l’équilibre radiatif de notre planète sur un hypothétique effet qui n’est décrit que par quelques rares auteurs, qui n’a jamais fait l’objet d’études systématiques, et qui ne pourrait être tout au plus attesté que par quelques observations sporadiques (voir la section 2 de [4]) !

Nous pouvons donc conclure que, sur les 240 W m-2 mesurés par les satellites ERBE, 9 % (21 W m-2) proviennent directement de la surface terrestre sous forme de rayonnement thermique et 91 % (219 W m-2) de l’émission de fluorescence associée à la condensation de la vapeur d’eau sursaturée au sommet de la troposphère.

Même en admettant que cet effet soit pertinent au premier ordre dans l’équilibre radiatif, il faudra qu’on m’explique comment on peut expliquer 219 W/m² de rayonnement thermique de la Terre vers l’espace alors que l’évapotranspiration ne représente qu’environ 78 W/m² de l’énergie évacuée au sol ! Même les estimations chiffrées de l’auteur peinent à convaincre :

La dissipation en continu de 219 W m-2 par toute la surface du globe terrestre (dont la valeur est mentionnée au paragraphe 4.2) représente au total 1,12 1017 J/s. Envisageons ensuite une couche atmosphérique s’étendant de 9 à 10 km d’altitude autour du globe terrestre (température et pression moyennes 230 K et 275 hPa). L’équation des gaz parfait permet de calculer le nombre total de molécules qu’elle contient d’où le nombre de molécule H20 à l’état de vapeur sursaturée qui n’en représentent que 0,01 % soit 7,36 1014 mol. Lors de la condensation à l’état solide, ces molécules H2O pourraient  dissiper sous forme de rayonnement 47 kJ/mol soit au total 3,46 1019 J. Cette énergie émise quasi instantanément  sous forme de rayonnement est 310 fois supérieure à l’énergie à évacuer par seconde. Comparant les valeurs soulignées on voit que, même si le rendement de conversion en rayonnement n’était que de 0,3 %, il permettrait encore d’évacuer l’énergie dissipée chaque seconde par la surface terrestre.

Les 219 W/m² doivent être dissipé en continu. Or, la condensation n’a lieu qu’une fois dans le cycle d’une masse d’air humide. Par conséquent, le mécanisme décrit de condensation à l’état solide ne pourrait expliquer le rayonnement de 219 W/m² que pendant 310 secondes, pendant lesquelles la convection devrait avoir amené la même quantité de vapeur d’eau à la même altitude. Abracadabrantesque !

Il existe une foule d’autres raisons qui excluent complètement que la condensation puisse jouer un rôle dans le rayonnement OLR. En voici quelques unes :

  • Le phénomène de transition de phase avec émission de rayonnement est décrit comme « brusque », ce qui n’est pas compatible avec les mesures du rayonnement infra-rouge de la Terre vers l’espace (ou OLR pour Outward Longwave Radiation) par satellite. L’intensité du rayonnement OLR est stable sur des temps courts et de l’ordre de quelques centaines de Watt par mètre carré.
  • La condensation se produit en général à une altitude bien inférieure à 9-10 km. Si elle se produit à une altitude inférieure, alors il y a absorption, et donc selon la logique de l’auteur, il ne peut y avoir de rayonnement à cause des collisions inélastiques.
  • Pour que le phénomène Pe-Ta puisse se produire, il faut une sursaturation de l’ordre de 500% pour vaincre la tension superficielle de l’eau. Or, la sursaturation observée dans l’atmosphère est de l’ordre de 1-2%, jamais plus [5]. La raison est que l’atmosphère est relativement riche en particules aérosols de toutes sortes (poussières, ions…) qui vont agir comme des noyaux de condensation de nuages en abaissant la tension superficielle. Notre atmosphère n’est pas une chambre à bulles !

Un peu d’ironie, pour en finir avec ce barnum de sornettes ânonnées par un Géo Trouvetou de la climatologie dont la suffisance et la condescendance sont mesurables depuis l’espace… Geuskens, comme la plupart des auteurs du site SCE, est prompt à dégainer le couplet aux relents complotistes des climatologues à la solde du GIEC qui serait lui-même inféodé à des intérêts politiques… Pourtant, il ne se prive pas de se référer à des collègues qui prennent les pages d’une publication scientifique pour une tribune politique ! Dans cet article de Tatartchenko intitulé « Sources of IR Radiation in the Earth’s Atmosphere in Connection with the PeTa Effect » et publié dans une revue d’optique et de photonique, on trouve un vibrant plaidoyer pour la défense du dioxyde de carbone et faisant l’éloge de la politique de Trump :

This culprit is declared to be an increase in the content of carbon dioxide in the atmosphere and, as a result, an increase in the greenhouse effect. The greenhouse effect does exist. It was discovered by Joseph Fourier in 1827. Its essence lies in the fact that solar radiation, heating the Earth, is mainly in the optical range, and in the process of cooling, the Earth radiates energy into space in the infrared range. The reason for this phenomenon is very simple: the Earth is covered by an atmosphere that contains gases that are more transparent in the optical range. Therefore, the Earth emits less energy than it receives from the sun. Thus, the atmosphere plays the role of a blanket (greenhouse cover) for the Earth and contributes to an increase in its temperature. Without the greenhouse effect, life on Earth in its present form would be impossible due to the low temperature. But an increase in the greenhouse effect is also undesirable since it leads to an increase in temperature. The main greenhouse gases are water vapor, carbon dioxide, and, to a lesser extent, methane and ozone. Why is the focus on carbon dioxide? The content of carbon dioxide in the Earth’s atmosphere has increased in recent years. This is natural, since working plants and factories, and especially automobiles, emit carbon dioxide into the atmosphere. Instead of a comprehensive analysis of the situation, this gas is hastily designated as the main culprit in the warming. In 1997, the Kyoto Treaty was drawn up. The 156 signatory countries are pledging to spend billions of dollars to reduce carbon dioxide emissions. True, President D. Trump found reasonable consultants, and the United States withdrew from this agreement, but President Joe Biden considered it necessary to return the United States to the Kyoto community.

Autre ironie : les auteurs cités par Georges Geuskens (Smirnov, Tatartchenko, Lindzen, Gervais,…) reconnaissent l’existence de l’effet de serre radiatif, mais si vous m’avez patiemment suivi jusqu’ici, vous savez que notre professeur de chimie n’en est plus à une contradiction près.

En guise de conclusion

Alors qu’il se pose en défenseur intègre de la Vérité Scientifique, à l’instar du professeur Raoult en France, Georges Geuskens ne fait que produire un discours scientifiquement irrecevable, en contradiction avec les faits et les lois de la physique, visant à innocenter le dioxyde de carbone d’origine anthropique, et donc les énergies fossiles, prenant ainsi la défense d’un secteur de l’économie mondiale qui dépense chaque année des centaines de millions de dollars dans ce seul but. C’est un marchand de doutes au sens du livre d’Oreskes et Conway [8]. Son rôle dans le système mis en place par les lobbies est de produire des argumentaires bidons destinés à être partagés sur les réseaux sociaux et dans la réinfosphère.

Un titre académique n’est pas un passe-droit qui autorise à dire tout et n’importe quoi, à s’affranchir des faits. Un scientifique qui a été payé avec l’argent public a l’obligation morale de dire la vérité et de ne pas prendre les gens pour des abrutis. Une carrière brillante dans la recherche scientifique ne donne pas le droit de dénigrer les collègues d’autres disciplines. Le fait d’avoir acquis une expertise mondialement reconnue dans quelques domaines ne confère par une sorte de compétence universelle dans tous les domaines.

L’ULB, qui été l’employeur du professeur Geuskens, est une université fondée sur principe du libre-examen. Mais ce principe n’est pas le droit de dire ce que l’on veut en fonction des intérêts que l’on cherche à défendre, pas plus qu’il ne donne le droit de se soustraire aux faits :

La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d’être.

Henri Poincaré

Sources

[1] E. A. Milne. « Effect of collisions on monochromatic radiative equilibrium ». The Royal Astronomical Society, vol. 88, article 493, 1928.

[2] Richard M. Goody et Yuk Ling Yung. (1989). Atmospheric Radiation – Theoretical Basis. Oxford University Press.

[3] Hermann Harde. (2013). « Radiation and Heat Transfer in the Atmosphere: A Comprehensive Approach on a Molecular Basis ». International Journal of Atmospheric Sciences. 2013: 1–26. doi:10.1155/2013/503727

[4] Xie, H., Zhu, M., Zhang, B., and Guan, X.. (2012). « The Review of the Phase Transition Radiation ». Energy Procedia, 16, pp. 997–1002.10.1016/j.egypro.2012.01.159

[5] L. Dufour. (1961). « Microphysiques des nuages », Ciel et Terre, vol. 77,‎ 1961, p. 68 – 81, consultable en ligne ici

[6] Robert G. Ellingson and Warren J. Wiscombe. (1996). « The Spectral Radiance Experiment (SPECTRE): Project Description and Sample Results ». Bulletin of the American Meteorological Society, vol. 77, issue 9, pages 1967-1986, consultable en ligne ici

[7] Grant W. Petty. (2006). A First Course In Atmospheric Radiation. Second Edition. Sundog Publishing (Madison, Wisconsin, USA).

[8] Naomi Oreskes et Erik M. Conway. (2014). Les marchands de doute. Editions Le Pommier.

[9] Rolando R. Garcia, Manuel López-Puertas, Bernd Funke, Daniel R. Marsh, Douglas E. Kinnison, Anne K. Smith, Francisco González-Galindo. (2014). « On the distribution of CO2 and CO in the mesosphere and lower thermosphere ». JGR Atmospheres, vol. 119, issue 9, pages 5700-5718, consultable en ligne ici

[10] Victor Sapritsky, Alexander Prokhorov. (2020). Blackbody Radiometry – Volume 1: Fundamentals. Editions Springer.

(2 commentaires)

  1. Il est difficile pour un simple physicien de réunir des documents permettant de bien comprendre l’effet de serre. Sur internet on trouve des explications qui au lieu de faciliter la compréhension nous égarent. Faire de la vulgarisation conduit à écorcher la physique de base, aussi bien pour des experts du climat, pour des climatologues dans des livres, des articles de revues, des cours … que pour des climato sceptiques.
    Le professeur Geuskens a essayé de faire sa propre analyse à la lumière de son expérience personnelle. Ainsi sa démonstration mérite beaucoup de remarques qui lui ont été faites et auxquelles il essaie de répondre, avec le seul mérite de soulever les problèmes.
    J’ai lu avec intérêt votre texte. Je suis d’accord sur le fait que des photons de mêmes longueurs d’ondes sont indiscernables les uns des autres (1). D’un autre coté lorsqu’on parle de flux radiatif on passe à un domaine macroscopique où on ne s’intéresse plus qu’à la résultante du comportement microscopique d’un ensemble de photons (2). Un mélange maladroit des deux aspects conduit à des erreurs (aussi de votre part).
    Pour moi les explications d’Einstein que vous mentionnez relatives à un gaz contenant des molécules susceptibles d’être excitées par des photons et de se désexciter sont très difficiles à comprendre, mais conformes à l’expérience. Ainsi, il me semble logique que dans une enceinte fermée comme celle qui veut représenter un corps noir idéal, il existe des photons initiés par les parois, en tous sens et en équilibre dynamique correspondant à une énergie électromagnétique uniforme fonction de la température (comme dans une pièce d’habitation). Dans l’air à basse altitude en présence de gaz à effet de serre (GES) les photons infrarouges émis par la surface dans la fenêtre de transparence ne sont pas absorbés et constituent un flux montant traversant l’atmosphère. Depuis le sol on peut ainsi étudier le ciel en infrarouge et depuis l’espace on peut étudier le sol. Mais c’est différent pour les photons qui interagissent avec les GES. Ils ont un libre parcours moyen très réduit. Ils peuvent être absorbés pendant que d’autres sont réémis. On se retrouve dans une situation voisine de l’enceinte d’un corps noir idéalisé avec des photons en tous sens dont l’énergie dépend de la température. (Ceci n’empêche pas la transformation de photons incidents en énergie cinétique des molécules). Cette explication est cohérente avec tous les spectres infrarouges AERI ou autres réalisés près du sol que j’ai pu trouver : on observe en même temps, le faible rayonnement descendant provenant de l’espace et de la haute atmosphère entre 8 microns et 13 microns, et le rayonnement local lié à la température de l’atmosphère près du capteur en particulier dans le domaine d’absorption du CO2 (de 13 à 17 microns). Rien à voir avec une back-radiation due aux GES (comme vous l’expliquez) qui supposerait une distinction entre des photons montant et des photons descendant (1). Il n’y a qu’un seul flux (2). Le capteur d’un satellite peut mesurer un flux radiatif IR venant uniquement de la terre, mais dans la basse troposphère les photons arrivant en tous sens il faudrait un capteur différentiel.
    Le niveau de radiance observé au sol pour la bande du CO2 est bien caractéristique d’un corps noir à la température de l’endroit où est faite la mesure, et est indépendante de l’inclinaison de l’orientation du capteur. Expliquer que les GES quelque part dans l’atmosphère renvoient vers la surface un flux radiatif comme une vitre n’a pas de sens physique et n’est pas utile pour la compréhension du phénomène. Je ne peux pas développer davantage ici ces considérations, et souhaite votre avis réfléchi, justifié et peut-être documenté. (Noter que le flux radiatif à basse altitude peut être extrêmement faible, l’énergie étant transportée par la conduction, la convection et la vapeur d’eau?). Vous devez aussi revoir votre copie. Merci de vos remarques.

    1. Tout d’abord, merci pour votre intérêt. Je vais répondre en reprenant vos propos par extraits, ce sera plus clair.

      « Il est difficile pour un simple physicien de réunir des documents permettant de bien comprendre l’effet de serre. »
      Trouver les ouvrages et articles de référence est relativement simple, ceux-ci étant abondamment cités. Le seul éventuel obstacle est financier, car beaucoup articles sont derrière un paywall, et les ouvrages sont rarement consultables gratuitement. Mais ce n’est pas un problème pour un physicien travaillant au sein d’une université ou d’une institution de recherche (abonnements de groupe à des revues, bibliothèques, etc.)
      Pour ce qui est de la définition de l’effet de serre, quand je lis des publications scientifiques récentes sur le climat, je constate que leurs auteurs emploient l’expression « greenhouse effect » sans la définir. Cela signifie qu’il existe un consensus de fait sur la définition de cette expression, et qu’il n’y a aucune ambiguïté à lever. Dans le même ordre d’idée, qd je consulte un ouvrage spécialisé sur la physique de l’atmosphère, j’y trouve une seule définition de l’effet de serre, et la définition donnée dans un ouvrage est compatible avec celles données dans d’autres.
      On est face à un phénomène naturel qui est connu et étudié depuis le début du 19ème siècle, et la masse de travaux et de données accumulées depuis sur le sujet est telle que plus aucun scientifique ne trouve nécessaire de devoir expliquer ce qu’on entend par « effet de serre », et encore moins de devoir justifier son existence. L’effet de serre est un fait scientifique, comme le sont, par exemple, l’électron, le proton, l’heliocentrisme, la sphericité de la Terre, la gravitation, etc.
      Cependant, dans les milieux climato-sceptiques (j’y inclus ceux qui nient le caractère essentiellement anthropique du réchauffement) en lien avec les intérêts économiques d’une partie de l’industrie, il est stratégiquement essentiel d’entretenir le doute dans l’esprit du grand public, parce que, pour faire court et caricatural, le doute profite à l’accusé. La même stratégie a été utilisée par le passé pour créer le doute sur l’inocuité de certains produits et activités industrielles comme des pesticides, les émissions de dioxyde de soufre, l’amiante, le tabac… Toute cette activité de création du doute en vue de défendre les intérêts de l’industrie a été établie, sourcée, documentée… et a fait l’objet d’une abondante littérature que je vous invite à lire.
      Cela dit, même chez les détracteurs les plus virulents du GIEC, il est très rare de trouver des scientifiques qui nient l’existence de l’effet de serre. Roy Spencer par exemple recommande même à ses lecteurs de ne pas utiliser un argument tel que la négation de l’effet de serre, parce que c’est une démarche contre-productrice dont l’effet réel est de jeter le discrédit sur les opposants à AGW.

      « Sur internet on trouve des explications qui au lieu de faciliter la compréhension nous égarent. »
      Il faut d’abord commencer par lire les ouvrages et articles de référence écrits par des spécialistes du climat. De la même façon, quand vous souffrez de l’estomac, vous allez consulter un gastro-entérologue, pas un neurologue, quand bien même les deux ont fait médecine. Je me méfie toujours quand un chimiste, par exemple, donne son avis sur le climat, qui n’est pas son domaine d’expertise, et a fortiori quand il émet un avis qui contredit de manière frontale plus d’un siècle de recherches et de données.

      « Je suis d’accord sur le fait que des photons de mêmes longueurs d’ondes sont indiscernables les uns des autres (1). »
      Oui, en effet, les photons sont des bosons, et donc le principe d’exclusion ne s’applique pas à eux, ce qui signifie concrètement que deux photons peuvent être dans le même état quantique. Sauf que… je ne me rappelle pas avoir écrit cela dans mon blog, et je ne comprends d’ailleurs pas très bien la pertinence de cette affirmation.

      « D’un autre coté lorsqu’on parle de flux radiatif on passe à un domaine macroscopique où on ne s’intéresse plus qu’à la résultante du comportement microscopique d’un ensemble de photons (2). »
      Oui, l’étude du rayonnement de l’atmosphère relève pour une large part de la mécanique statistique. L’aspect statistique est incarné dans mon exposé par la loi statistique de Maxwell-Boltzmann, qui permet de calculer la proportion de molécules pouvant se trouver dans un état quantique donné à une température donnée.

      « Pour moi les explications d’Einstein que vous mentionnez relatives à un gaz contenant des molécules susceptibles d’être excitées par des photons et de se désexciter sont très difficiles à comprendre, mais conformes à l’expérience. »
      Vous n’avez manifestement pas compris le sujet de la section 1 de mon article, sans doute parce que vous n’avez pas non plus attentivement lu l’article de Geuskens.
      Avez-vous lu ce papier d’Einstein ? Il est disponible en anglais et facile à comprendre car il ne fait appel qu’à des notions standards dans le cursus d’un bachelier en sciences. Et il y décrit les trois processus à la base du rayonnement : l’absorption et l’émission induite, et l’émission spontanée. Il y définit aussi les coefficients qui caractérisent ces trois processus. Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Coefficients_d%27Einstein
      Les lois macroscopiques qui caractérisent le rayonnement à l’équilibre thermodynamique, comme la loi de Stefan-Boltzmann, peuvent se déduire en partant des processus qui entrent en scène au niveau microscopique (ou quantique). C’est une des choses que démontre Einstein dans sont article de 1917. Le passage du microscopique au macroscopique se fait grâce à la distribution de Maxwell-Boltzmann. Il n’y a donc pas, pour reprendre votre expression, de « mélange maladroit » des deux aspects, mais simplement le constat que les deux aspects sont liés, et c’est précisément ce que nous enseigne la mécanique statistique : on peut étudier des états macroscopiques à partir de l’étude statistique des états microscopiques. Pour terminer, mon exposé s’appuie sur ce qui enseigné dans tous les cours et ouvrages spécialisés traitant du rayonnement atmosphérique. A titre d’exemple, je vous renvoie à la page 30 du Goody and Yung (« Atmospheric radiation – Theoretical basis »). Il n’y a donc par de maladresse de ma part, mais bien de votre part une mauvaise compréhension de ce que j’ai écrit et une méconnaissance totale des processus et des lois qui régissent le rayonnement thermique.

      La suite de votre commentaire contient une enfilade d’inexactitudes ou d’imprécisions que je me dois de corriger.

      * « …il existe des photons initiés par les parois, en tous sens et en équilibre dynamique correspondant à une énergie électromagnétique uniforme fonction de la température… »
      L’expression « energie électromagnétique » est impropre et peut prêter à confusion, mais passons ! L’énergie des photons dans une cavité de corps noir n’est justement pas uniforme, puisque la répartition des photons en fonction de leur énergie est dictée par la loi de Planck. C’est cette loi de répartition qui est dictée par la température.

      * « Dans l’air à basse altitude en présence de gaz à effet de serre (GES) les photons infrarouges émis par la surface dans la fenêtre de transparence ne sont pas absorbés et constituent un flux montant traversant l’atmosphère. »
      Le flux d’infrarouge émis par la Terre vers l’espace (le fameux OLR = Outward Longwave Radiation) n’est pas uniquement constitué par les photons de la fenêtre de transparence. Vous pourrez facilement vous en convaincre en consultant des spectres OLR obtenus par satellite et que l’on trouve facilement sur le Web.

      * « Mais c’est différent pour les photons qui interagissent avec les GES. Ils ont un libre parcours moyen très réduit. »
      Même avec un libre parcours moyen réduit, vous aurez quand même un rayonnement des premiers mêtres de l’atmosphère vers la Terre. Connaissez-vous l’ordre de grandeur de ce libre parcours moyen ?

      * « On se retrouve dans une situation voisine de l’enceinte d’un corps noir idéalisé avec des photons en tous sens dont l’énergie dépend de la température.  »
      A nouveau, ce n’est pas l’énergie des photons qui dépend de la température, mais la répartition cette énergie, dictée par la formule de Planck.

      * « Rien à voir avec une back-radiation due aux GES (comme vous l’expliquez) qui supposerait une distinction entre des photons montant et des photons descendant (1). »
      Le capteur d’un AERI est tourné vers le ciel : il ne peut donc mesurer que les photons descendants. C’est d’une logique implacable.
      Je suppose que le (1) fait référence au fait que des photons dont le même état quantique sont indiscernables, ce qui n’est pas pertinent ici étant donné que les photons dans l’atmosphère ne sont justement pas dans le même état quantique.

      * « Il n’y a qu’un seul flux (2). »
      Il appert clairement dans vos propos que vous ne maitrisez pas la notion de flux. Un flux est l’intégrale de la composante normale d’un champ de vecteur à travers une surface (la normale étant bien sûr definie par rapport à cette surface).
      Dans le cas qui nous occupe, le champ de vecteur, ce sont les vecteurs vitesse des photons, et la surface est celle du capteur de l’AERI qui est tournée vers le ciel. Même si les photons vont dans tous les sens, que le rayonnement est isotrope, cela n’empêche pas qu’une partie des photons dans le voisinnage du capteur ont une composante normale dirigée vers le capteur (donc vers la surface terrestre), et que par conséquent le flux à travers cette surface ne sera pas nul.

      * « …mais dans la basse troposphère les photons arrivant en tous sens il faudrait un capteur différentiel. »
      Comme dit précédemment, le capteur de l’AERI ne peut mesurer que les photons descendants. Ces photons viennent pour la plupart des GES car le dioxygène et le diazote sont inactifs dans l’infrarouge. Par ailleurs, l’analyse spectrale permet de connaitre l’origine de ces photons car l’énergie d’un photon (et donc sa fréquence) est caractéristique d’une transition quantique au sein d’une molécule ou d’un atome.

      * « Expliquer que les GES quelque part dans l’atmosphère renvoient vers la surface un flux radiatif comme une vitre n’a pas de sens physique et n’est pas utile pour la compréhension du phénomène. »
      Au contraire ! C’est démenti par l’ensemble de la littérature sur le bilan radiatif de la Terre. Tout d’abord, le rayonnement de l’atmosphère vers la Terre est un phénomène observable, mesurable, quantifiable. C’est un fait ! Il existe un réseau mondial de mesure de ce rayonnement que l’on appelle DLR (Downward/Downwelling Longwave Radiation) dans la littérature spécialisée. Je vous invite à faire quelques recherches dans Google Scholar avec ces mots-clefs, pour constater l’existence d’une littérature pléthorique sur le sujet. Si votre raisonnement est en contradiction avec les faits, c’est qu’il est faux.
      D’autre part, on sait que la température moyenne de la Terre est de 15 degré, et que l’énergie solaire moyenne par seconde et par mètre carrée reçue par la surface est égale au quart de la constance solaire moins la part de l’albedo, ce qui fait 240 Watt par mètre carré. La loi de Stefan-Boltzmann nous apprend qu’un corps à l’équilibre thermodynamique qui reçoit 240 Watt par mètre carré a une température de -18 degré. Par conséquent, sans l’apport du rayonnement atmosphérique, vous ne pouvez pas expliquer cette différence de 33 degré sans violer les lois de la thermodynamique.
      Pour terminer, on peut modéliser le transfert radiatif de l’atmosphère. On dispose des équations pour le faire depuis le début du XXeme siecle, mais il a fallu la démocratisation de l’informatique pour que ces équations soient exploitables numériquement (elles ne sont pas résolubles exactement). Les calculs conduisent invariablement à un rayonnement de l’atmosphère vers la Terre. Vous trouverez ici une liste des software qui permettent d’effectuer ces calculs :
      https://en.wikipedia.org/wiki/Atmospheric_radiative_transfer_codes
      Si vous voulez une approche pédagogique/heuristique de ce genre de calculs, je vous renvoie à l’excellent article de Dufrene :
      https://www.researchgate.net/publication/275205925_L'effet_de_serre_atmospherique_plus_subtil_qu'on_ne_le_croit
      Je vous invite aussi à vous renseigner sur le bilan radiatif de la Terre, par exemple ici :
      https://science.nasa.gov/ems/13_radiationbudget
      https://www.universalis.fr/media/DE072951/
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Bilan_radiatif_de_la_Terre
      https://en.wikipedia.org/wiki/Earth%27s_energy_budget
      https://www.aeronomie.be/fr/encyclopedie/effet-serre-renforce-lactivite-humaine
      https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/rayonnement-effet-de-serre.xml
      https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/bilan-radiatif-terre3.xml
      Toutes ces sources mentionnent le rayonnement de l’atmosphère vers le sol dans le bilan radiatif de la Terre. Les auteurs de ces sources doivent-ils revoir leur copie ?

      * « (Noter que le flux radiatif à basse altitude peut être extrêmement faible, l’énergie étant transportée par la conduction, la convection et la vapeur d’eau?). »
      Affirmation non étayée, non sourcée. Ce qui est affirmé sans preuve peut être rejeté sans justification. Mais je suis bon joueur 😉 1/ La conduction, la convection et l’évaporation ne font que brasser l’énergie au sein de la troposphère, mais cette énergie reste dans la troposphère. Or, dans le bilan radiatif de la Terre, on s’intéresse à la balance entre le rayonnement qui rentre dans l’atmosphère et celui qui est ré-émis vers l’espace par le système Terre-atmosphère. Ces phénomènes sont donc non-pertinents ici. 2/ La conduction et l’évaporation permettent l’évacuation d’environ 105W/m², ce qui est bien en deça de ce qui est rayonné par la Terre (environ 398W/m2). 3/ Quand bien même ces phénomènes joueraient un rôle, ils sont bien plus lents que le rayonnement. 4/ Comme je l’ai déjà dit, le flux radiatif l’atmosphère vers la Terre est mesuré, et en moyenne, il représente 340W/m^2.
      Source: https://en.wikipedia.org/wiki/Earth%27s_energy_budget#/media/File:The-NASA-Earth's-Energy-Budget-Poster-Radiant-Energy-System-satellite-infrared-radiation-fluxes.jpg

      Au vu de vos arguments faibles, ou vagues, ou non-pertinents, ou physiquement inexactes ou incohérents ou en contradiction avec les faits, vous n’êtes pas en position de me demander de revoir ma copie.

      Bien à vous.

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